L'AFFAIRE

 

 

JEAN ZAY

 

 

 

Récit documentaire théâtral construit à partir de

 

 

 

Souvenirs et solitude  et  Écrits de prison 

 

Jean Zay

1904 - 1944

 

Mémoires et correspondances

 

écrites pendant sa captivité entre 1940 et 1944

 

 

Conception, adaptation et mise en scène

 

René Albold

 

 

Avec

 

François Patissier et Georges Salmon

 

  

Composition musicale

 

Camille Albold

 

Scénographie et graphisme

 

Isabelle Dansin

 

 

Création lumière et régie

 

Aline Bertrand

 

L'affaire Jean Zay a été créé au

 

Théâtre de l'Epée de bois

 

du 7 au 19 janvier 2019

 

Jean Zay fut probablement un de nos plus éminents hommes politiques du 20e siècle qui paradoxalement souffre aujourd'hui d'un oubli et d'une méconnaissance du grand public. Son entrée au Panthéon le 27 mai 2015 au côté d'autres grands personnages, Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, l'a fait resurgir de l'injuste silence dans lequel dormaient sa mémoire et son histoire.

 

 Il fut confronté à la période la plus sombre de son siècle. Son arrestation et son emprisonnement en font un personnage emblématique de ce qu'a été la dictature vichyste et en même temps une grande figure de ce que peut être la résistance à ce régime. C'est dans sa force et son intégrité d'homme ayant foi dans le droit et la justice que se trouve l'essence de son acte de résistance à ses tortionnaires.

Au plus sombres jours de sa captivité, Jean Zay n'a jamais perdu sa capacité à se projeter dans l'avenir, il n'a jamais renoncé à croire dans les forces de la vérité. Pour continuer de vivre et de lutter, il a gardé cette puissance visionnaire et constructive qui l'avait porté depuis le début de son engagement politique. 

Dans un travail quotidien, méticuleux, intensément productif, il met par écrit ses conditions de détentions iniques et humiliantes qu'il regarde et décrit avec un admirable recul. Ces écrits de captivité sont plus que le témoignage d'un prisonnier, ils sont la description au quotidien d'une quête de liberté intellectuelle que Jean Zay oppose à l’oppression.

 

 

Les écrits de captivité

 

une vaste ressource dramaturgique

 

 

Depuis juin 1936, Jean Zay est Ministre de l'Education Nationale et des Beaux Arts. En septembre 1939, il s'engage et combat dans un régiment du train jusqu'en juin 1940. Sur ordre des ses supérieurs il se replie sur Bordeaux pour embarquer sur le Massilia en direction du Maroc pour continuer le combat. 

Arrivée à Casablanca, Jean Zay est arrêté le 16 août 1940 et transféré à la prison de Clermont-Ferrand. Le 4 octobre, après un simulacre de procès, le tribunal militaire qui a condamné De Gaulle à mort, condamne Jean Zay à la dégradation militaire et à la déportation pour "désertion en présence de l'ennemi". Il est transféré à Marseille pour y être déporté, puis à Riom où il restera prisonnier jusqu'à son assassinat le 20 juin 1944.  

 

C'est à partir du 18 août 1940 que Jean Zay entame une correspondance quasi quotidienne avec sa femme Madeleine, la dernière de ses lettres est datée du 19 juin 1944, la veille de son assassinat par la Milice. 

Le 6 décembre 1940, il commence ce recueil de mémoire et de notes de son quotidien de prisonnier, Souvenirs et solitude...Il tiendra ce Journal jusqu'au limite du possible. La dernière page est datée du 7 octobre 1943. 

L'ensemble de ces écrits représente d'abord un témoignage bouleversant. Se dessine page après page toute la détresse d'un homme pris dans la mécanique et les rouages d'une dictature à laquelle Jean Zay oppose une force d'âme sans pareil.

 

Pour réfléchir à une transposition théâtrale de ses écrits et tenter d'en dégager toute la force et toute la dignité qui s'élève de ces lignes, il nous faut tout d'abord prendre une distance avec les faits historiques, leur évidence émotionnelle et mémorielle, pour mieux les retrouver au bout du parcours.

Au-delà de l'intime qui s'imbrique dans le déroulement de l'histoire, au-delà du récit qui s'inscrit dans notre grand récit national, cette situation / paradoxe crée des ressorts dramaturgiques qui rejoignent ceux posés dans les grands récits tragiques de l'histoire théâtrale.

 

Un espace de jeu qui privilégie les mots

 

« J'habite une pièce unique, fort nue...Une table, une chaise, un lit...Dont je ne suis sorti depuis bientôt deux mois. C'est une étrange sensation. Je te l'aie souvent dit : C'est le soir la période la plus pénible, celle où compte comme une souffrance physique l'impossibilité de parler à quelqu'un, d'échanger une parole avant de se coucher. Les jours s'allongent et, depuis hier il n'est plus nécessaire d'allumer l'électricité le matin ; il fait jour à 7 heures et jusqu'à 6 heures 1/2 du soir ; quand il fait assez beau, du moins car les jours pluvieux comme aujourd'hui, ma chambre éclairée par une seule fenêtre donnant sur une petite cour ceinte de hauts murs, est plongée dans la pénombre presque toute la journée »

 

Lettre à sa femme Madeleine le 3 mars 1941 

 

 

Un lit, une table, un tabouret...Éléments basiques d'une cellule, ils deviennent ici les objets symboliques de l'enfermement et du dépouillement scénographique dans lequel s'exprime la pensée de Jean Zay. La lumière... Qui structure l'espace et qui marque le rythme des jours et des nuits.

 

Trois personnages pour raconter

 

l'obsession de la vérité

 

 

« Le Nommé...Le condamné...Le détenu... Ce sont les termes réglementaires. Mais six mois, écoulés dans quelques jours, n'ont pas habitué mon esprit… Aucun délai, aucune réflexion, ne l'habitueront jamais… Le corps peut s'habituer, plus au moins, à des aventures monstrueuses comme celles que je vis ; le cerveau non... »

 

Lettre à sa femme Madeleine le 4 février 1941 

 

La dynamique théâtrale est celle d'une double présence d'acteurs et d'une musicienne portant au public l'histoire de la captivité de Jean Zay. 

La dimension tragique de cet itinéraire nous amène à traiter ce récit à l'aune des grands récits fondateurs du théâtre. Ce duo d'acteurs donne à entendre l'histoire de cet homme aux prises avec les forces de l'anéantissement, dans une complémentarité dramaturgique qui se répartit en deux axes.

 

 

 Un acteur incarnant la présence de Jean Zay.

 

Ce personnage est impliqué au plus haut point dans la situation historique et émotionnelle qui découle de l'isolement et de l'enfermement. Il est porté par ses souvenirs et parcourt les moments de souffrance et d'espérance qui font de la trajectoire de Jean Zay un chemin de dignité.

 

 

François Patissier incarne cette force tragique qui mène le spectateur dans les méandres de la solitude et du combat de Jean Zay.

 

Un autre acteur incarnant le lien entre l'espace de jeu et le public.

  

Le rôle de cette deuxième présence est celui d'un « Coryphée moderne ». Bien que ce « Coryphée » reprenne la fonction de celui de la tragédie grecque, il a une dynamique plus inscrite dans le jeu théâtral.

 Outre la fonction de lien avec le spectateur, sa force à interpeller le personnage et le public, il a la capacité d'intégrer des situations de jeu dans des retours en arrière de la vie de Jean Zay par exemple.

Il est à la fois l'observateur, le commentateur des situations et porte la dynamique historique et documentaire.

 

Georges Salmon est à la fois l'observateur des situations et porte la dynamique historique et documentaire. Il est aussi le temps qui passe.

 

 

Une musicienne et une création musicale jouée en direct

 

Elle accompagne cet ensemble dramaturgique et scénographique. La composition musicale est vue comme un accompagnement du récit, parfois pour soutenir le texte ou en tant qu’intervention purement instrumentale. Elle s'appuie sur des formes mélodiques conventionnelles pour s'orienter vers des sonorités abstraites en jouant avec des références électro / contemporaines. Ce mouvement souligne le passage de la temporalité historique du sujet à sa dimension tragique universelle.

 

 

 

Camille Albold a composé et joue en direct une musique aux accents “électro” qui transcrit implacablement l'univers des écrits de Jean Zay.

 

 

Le spectacle s'ouvre sur la lecture de la dernière lettre de Jean Zay, datée du 19 juin 1944, adressée à sa femme Madeleine... Ensuite tout ressurgit, mû par une profonde nécessité de crier la vérité.

 

 

19 juin 1944

Mon cher petit amour bien-aimé,

 

Voici la dernière étape, celle qui sera brève et au bout de laquelle nous nous retrouverons unis et tranquilles dans notre bonheur, avec nos filles. Elle était inévitable ; Il faut la supporter avec courage et confiance, avec une certitude entière et une patience inébranlable. Ainsi je ferai, même loin de toi, même sans nouvelles. Chacun de nous restera plus près que jamais de la pensée de l'autre et lui inspirera à distance toute sa force. Je te confie mes filles, et sais comment tu les garderas; je te confie Papa, dis-lui surtout de n'avoir aucune inquiétude d'aucune sorte; tu le rassureras pleinement, ainsi que Jacqueline.

 

Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n'ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J'ai le cœur et la conscience tranquilles. Je n'ai aucune peur. J'attendrai, comme je le dois, dans la paix de ma pensée, l'heure de vous retrouver tous.

 

Je t'écrirai dès que je le pourrai. Mais, pour cent raisons, peut être resteras-tu sans nouvelles. Tu pourras, au bout de quelques semaines, si tu le juges à propos, en demander par l'ambassade. Consulte au besoin des amis. Mais, quoi qu'il arrive, pas d'angoisse, pas d'inquiétude. Chaque heure nous rapprochera du bonheur retrouvé.

 

Embrasse Papa, Jacqueline, pour moi de tout mon cœur et dis-leur : « Confiance ! » Serre dans tes bras mes petites filles bien-aimées.

 

Je t'aime, mon amour, de toute mon âme. J'emporte le réconfort de notre entretien de dimanche. Je suis fier de toi. Je te dois déjà treize années de profond bonheur. D'autres nous sont dues.

 

Je t'aimes et t'étreins sur mon cœur, A bientôt!

  

Jean Zay